Extrait La leçon

 

                   « Le mieux est le mortel ennemi du bien »

                                         Charles de Montesquieu

 

Chapitre 1

Sophie sort de la salle de bain enveloppée dans un peignoir blanc et duveteux de la marque Monoprix coton bio. Elle entend une voix grave et puissante parvenir jusqu’à ses oreilles encore légèrement bouchées par l’eau et le masque pour les cheveux, bio lui aussi, et qui s’est mal rincé.

— Quoi ??? Qu’est-ce que tu dis ?

Elle glisse un doigt dans le creux de son oreille en pestant sur la composition du produit qui a obstrué son pavillon gauche.

— Je pars faire mon jogging, je reviens pour déjeuner.

— OK. À tout à l’heure, répond Sophie en terminant de dégager son conduit auditif.

Depuis le début de l’année scolaire, elle est seule avec son mari Christophe, ses enfants sont partis terminer leurs études, l’un à Paris et l’autre en Allemagne. Ils ne se sont pas beaucoup vus ces derniers temps avec la crise sanitaire, mais tout le monde va bien, ils n’ont pas déprimé ni pété les plombs comme elle l’avait craint avec son plus jeune fils, brillant élève à Science Po Paris, mais particulièrement fragile. Du coup, elle a du temps libre et s’ennuie. Christophe lui répète qu’elle a de la chance de s’ennuyer, que c’est un vrai luxe. Elle n’est pas du même avis. Elle s’est donc inscrite dans une association pour livrer des légumes et des fruits bio, mais ce qu’elle aimerait c’est se lancer dans quelque chose de constructif et de rémunérateur. Les études des enfants coûtent cher et elle rêve de racheter la franchise d’un Biocoop avec quelques amis. Le problème c’est qu’elle n’a pas un sou. Elle se rend compte que d’être restée femme au foyer n’a pas forcément été un très bon choix. En tout cas, ça l’a rendue dépendante financièrement et personne ne respecte cela, même pas son mari. Car de l’argent de côté, lui, il en a. C’est soi-disant celui du couple, mais elle n’a pas le droit d’y toucher. En attendant, elle tient toutes les semaines un stand à la Ruche qui Bourdonne, une association d’agriculteurs d’Aquitaine et c’est l’occasion pour elle de voir du monde, de discuter et de réfléchir à son avenir. Sa deuxième vie. Celle qui suit la maternité. Une vie à elle.

Elle a enfilé un jean et un sweat en coton lui aussi recyclable, elle a laissé ses cheveux à l’air libre, elle préfère éviter le séchoir, quand elle entend le bip de son portable lui annonçant un message de Christophe. Des photos de la plage de Lacanau.

Elle peste tout haut, comme s’il pouvait l’entendre.

— C’est pas possible. C’est devenu une habitude. Il faut vraiment qu’il arrête avec ça.

Elle s’apprête à éteindre l’appareil quand une sonnerie l’avertit de l’appel d’un adhérent de la Ruche.

— Allo ! C’est le voisin, Emmanuel.

— Comment vas-tu ? demande Sophie en modifiant légèrement sa voix, pour la rendre plus mélodieuse.

— Ben, il y a un contretemps, tu sais, Martine qui devait s’occuper du stand la semaine prochaine…

— Oui.

— … Il lui est arrivé un truc de dingue. Elle est sens dessus dessous. Son mari vient de la quitter.

— NON ??? Qu’est-ce qui s’est passé ? Viens boire un café et tu me racontes...

Le voisin, vieux célibataire au demeurant, ne se le fait pas dire deux fois. Sophie a passé la cinquantaine, mais est encore très belle. Grande, mince, avec de longs cheveux blonds qui tombent en cascade sur ses épaules et qu’elle refuse de couper. Même si, à son âge, on lui a dit que ce serait plus « sage ».

Tel un habitué des lieux, Emmanuel entre dans la grande maison de type Art déco, caractéristique des années 1930, et se dirige vers la cuisine où Sophie lui offre une tasse de café mousseuse.

— Tu prends toujours pas de sucre ?

— Oui. C’est mauvais pour la santé. Le sucre, encore un truc à bannir.

— Ouais. Tu as bien raison, Emmanuel, mais c’est si bon… Bien, tu me racontes ?

Alors qu’elle s’assied près de lui, Emmanuel se redresse de toute la longueur de sa colonne vertébrale. C’est un bel homme, admet Sophie, grand et blond, musclé et longiligne. Pas une musculation obtenue à coup d’haltères et de produits protéinés, mais des muscles sains, résultat d’une pratique sportive au long court. Il est élégant, son visage fin et sans véritable charme est tout de même égayé par des yeux d’un bleu perçant et des dents aussi blanches qu’un lavabo de faïence flambant neuf.

— Je te dis pas, la pauvre, commence Emmanuel, elle s’est fait jeter, du jour au lendemain, après 30 ans de mariage… Quel salaud !

Il marque un temps d’arrêt.

— Tiens, il est où, Christophe ?

— Ah ! Si tu savais…

— Quoi ? Il ne te…

Elle rit.

— Non, rien de tout ça. Il est d’une fidélité à toute épreuve…

Le voisin la fixe intensément.

— Cela dit, il n’a pas beaucoup de mérite, une belle femme comme toi !

— Flatteur ! Mais il ne s’agit pas de ça.

Elle lui tend son téléphone.

— Regarde !                          A SUIVRE...

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